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décembre 4th, 2008 by bruno boutotQuand des amis s’apprêtent en s’enfarger les pieds dans les fleurs du tapis, faut leur dire, me dis-je. #
Il y a donc une petite urgence pour mes amis journalistes de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (fpjq) et mes amis blogueurs qui les uns et les autres sont en train de s’aventurer dans une bataille de tarte à la crème portant le joli nom d' »éthique » ou « déontologie ». #
Please don’t. #
Je croyais avec Philippe Martin que la chicane et les montées de lait entre blogueurs et journalistes étaient choses du passé. Philippe écrivait début novembre: #
… de la coopération et de l’échange, pas de compétition. Il serait temps que ce vieux débat des journalistes vs blogueurs prenne fin, c’est dépassé, autant pour les blogueurs que les journalistes qui grimpent aux rideaux à chaque occasion. #Hier encore, à la conférence de Malcom Gladwell organisée par Infopresse, j’étais assis à côté de Mario Asselin (qui a pris la photo) et on mangeait et buvait à la même table sans se soucier de savoir qui était journaliste, qui était blogueur ou qui était journaliste et blogueur (ni même bloggeur, d’ailleurs). #
Hélas, trois fois hélas, je suis tombé sur la résolution sur la déontologie que la fpjq s’apprête en entériner lors de son prochain congrès. Malheur! La « déontologie » est ici utilisée comme une tarte à la crème dont les journalistes doivent s’affubler pour entrer dans une citadelle où rien ne pourra les assaillir! #
J’aime passionnément le journalisme, donc aussi les journalistes en général (dont moi-même), et j’ai longtemps été membre de la fpjq et lui porte toujours beaucoup d’affection. C’est une de mes gangs. Une de mes communautés. Donc je ne m’attaque ici à personne, ni à la fpjq, seulement à cette malencontreuse résolution: #
– « il devient de plus en plus difficile pour le public de distinguer les journalistes professionnels des autres communicateurs. » Quelqu’un pourrait-il citer la moindre source pour cette affirmation-canon? Des études, des sondages, des experts? Ou est-ce juste « on a vaguement l’impression que »?
– « que le respect des règles de déontologie est la seule chose qui distingue les journalistes professionnels des citoyens et autres communicateurs. » Pardon? D’une part, les autres communicateurs n’ont pas de règles de déontologie? C’est gentil. Ils vont apprécier. Back to square one. D’autre part, la déontologie n’est pas du tout « La seule chose qui », c’est seulement « une des », et pas la première (j’y reviens plus loin).
– « que la FPJQ a intérêt à s’afficher comme un exemple et un leader des meilleures pratiques professionnelles. » Ha oui? Et jusqu’ici la fpjq s’affichait comme un exemple et un leader de quoi exactement? Qu’est-ce qui a changé soudainement? #
De leur côté, des blogueurs tout aussi sympathiques que les journalistes pensent également que la déontologie est une super tarte à la crème dont ils devraient eux aussi s’asperger pour pouvoir entrer dans la citadelle des journalistes. (Soyez également assurés que j’aime passionnément le Web, donc aussi les blogueurs en général (dont moi-même), et je suis membre de 53 blogs auxquels je porte toujours beaucoup d’affection. C’est une de mes gangs. Une de mes communautés. Donc je ne m’attaque ici à personne, ni aux blogueurs-reporters, seulement à cette malencontreuse intention:) #
Dans son appel: élaboration de critères pour les blogueurs-reporter accrédités aux événements politiques, Mario Asselin écrit: « l’idée avait été proposée de dresser une liste de critères que nous pourrions suggérer aux organisations politiques, de la perspective des blogueurs, pour «encadrer» l’accréditation, craignant un mécanisme exclusivement partisan qui pourrait dénaturer la pratique carnetière dans le contexte «du mélange des genres»« . Allo? Un pt’it chausson avec ça? #
S’ensuit un bel effort de wiki où l’on voit qu’il n’est pas si simple d’arriver à trouver la recette de la tarte à la crème. On n’en est pas encore à la concision de la « résolution » de la fpjq, mais on y patauge dans les mêmes ingrédients: encore un peu de collaboration conversationnelle et on va arriver aux mêmes énormités que nos autres amis. Pleines de bonne volonté, certes, mais énormités pareil. #
On en est là. Tout ce qui précède est l’état des lieux. S’il y en a qui me lisent encore, voici le plan de la suite: d’abord, on efface tout; ensuite, on regarde ce qui se passe; enfin on s’en va boire ensemble. #
On efface tout:
1 – Les blogueurs n’existent pas
2 – Les journalistes non plus, d’ailleurs. #
1 – Les blogueurs n’existent pas
Finissons-en: un blog est un format, pas un contenu ni un métier. On ne dit pas des gens qui écrivent sur un tableau noir qu’ils sont des « tableaunoireurs », de ceux qui griffonnent dans un carnet à feuilles quadrillées qu’ils sont des « carnetàfeuillesquadrilleurs » ni même des gens qui travaillent à la télévision des « télévisionneurs », etc., etc. On ne peut pas plus opposer un blogueur à un journaliste qu’un tableaunoireur à un docteur en ethnographie. Pas rapport. Pomme et orange, etc. Donc, de qui parle-t-on quand on parle de blogueurs? Ou plutôt, de qui parlez-vous? De chroniqueurs? De cueilleurs et diffuseurs d’information? De recherchistes? De sources de nouvelles? De synthétiseurs de tendances? Devant cet embarras de définition, la fpjq n’exclut pas nommément les blogueurs mais tente de les définir par la négative comme étant « tous ceux qui ne sont pas journalistes ». Ça tombe mal parce que, comme on le disait, #
2 – Les journalistes n’existent pas non plus!
C’est écrit dans le premier des critères d’adhésion à la fpjq: « personne qui a (…) pour occupation principale, régulière et rétribuée l’exercice d’une fonction de journaliste pour le compte d’une ou de plusieurs entreprises de presse québécoises. » Pas la déontologie. Pas l’éthique. Le premier critère du titre de journaliste n’est pas d’adhérer à un credo mais d’être rétribué par une ou plusieurs entreprises de presse. Être journaliste n’est pas un état d’âme, ni un diplôme, ni une conviction, ni une compétence: on n’est journaliste que lorsqu’on est nommé comme tel par quelqu’un d’autre, un employeur d’un média d’information. Ce n’est pas l’éthique qui fait le journaliste, c’est l’employeur. #
Exit la définition des journalistes par l’adhésion à la déontologie: sans objet. Pas rapport. Exit les espoirs des « blogueurs-reporters » d’entrer dans la citadelle en se drapant dans l’éthique: sans objet. Pas rapport. #
Cqfd: l’éthique, en soi, n’est pas une tarte à la crème. C’est un engagement profond, sérieux, essentiel que l’on attend de tout professionnel de tout secteur. Mais, dans ce contexte, elle est seulement une tarte à la crème: déguisement, artifice, signe, mirage, illusion, signal, épouvantail, draperie, enveloppe, robe, camouflage, maquillage, uniforme, chapeau, miroir aux alouettes, alouette. Tarte à la crème. #
Personne n’est mort. On se calme. Pour que des professionnels de bonne foi pensent à s’ériger une citadelle bâtie sur tant de mauvais arguments, il faut être frappé d’une terrible crainte. On n’en doute pas. On sait tous ce dont il s’agit: à plus ou moins long terme, on s’en va tous sur le Web. Il n’y a pas plus belle machine au monde de création et de diffusion de contenu. Le Web est notre destination, tous médias confondus. Tout en le sachant, même en fermant les yeux, on voit bien tous que la transition ne s’annonce pas facile pour les médias établis. John Battelle en a relevé un raccourci récent: #
Ou comme je l’écrivais dans MetaFilter la veille: #
On sait tous que le Web provoque une augmentation dramatique de la création et de la distribution de contenu, diluant chaque jour un peu plus le contenu des grands médias. En même temps, le principal modèle de revenus des médias, la publicité, ne marche pas très bien sur le Web. #Chers amis journalistes, les blogs sont certainement une partie des facteurs qui diluent le contenu des médias, mais ce n’est pas là que se situe notre problème. On peut bien sûr s’imaginer qu’on peut s’enfermer dans une tour d’ivoire (blanche comme la déontologie), mais ça ne va pas aider les éditeurs et diffuseurs à découvrir comment générer des revenus sur le Web. Pour eux. Et pour nous. #L’aspect « contenu » est plutôt facile: plus de sources! plus d’outils! plus de mélanges de médias! plus d’options d’horaires! mémoire infinie! diffusion en temps réel! réseaux de sources! réseaux d’usagers! La corne d’abondance du contenu est un joyeux tintamarre. C’est du côté du modèle de revenu qu’est la réelle inquiétude. #
C’est là la seule et la vraie question qui nous intéresse tous: comment faire de l’information sur le Web tout en générant des revenus? La plupart des journalistes n’en ont aucune idée, et pensent que ce n’est pas leur problème: c’est le problème de leur employeur. Qui n’a toujours pas de réponse. #
Personne n’a encore (tout à fait) la réponse, ou sans doute les réponses, mais s’il y a une chance de les trouver quelque part, c’est parmi les passionnés de l’information qui sont déjà sur le Web et qui y génèrent des revenus. Surprise! C’est du côté des maudits blogueurs que s’explorent le plus les nouveaux modèles d’affaires de l’information! En fait, au lieu de s’opposer, les journalistes et les blogueurs sont dans le même bateau. #
Tiens, on va faire un site pour tout ce beau monde. On va y inviter tous les journalistes, les blogueurs et les éditeurs qui sont intéressés à faire de l’information passionnante et enrichissante pour tous sur le Web. Enrichissante en esprit et en dollars. Ça tombe bien, le Web est le medium idéal pour créer des groupes et héberger des communautés. On pourrait l’appeler la Communauté des passionnés de l’information. #
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