Jeff Jarvis: le futur des médias dans l’écho de Gutenberg
février 19th, 2012 by bruno boutotLa grande question pour l’industrie des médias est bien sûr: Où va le Web? Ou plutôt: Quel effet Internet va-t-il avoir sur le comportement de nos publics et sur nos modèles d’affaires? C’est évidemment la question à 100 millions de dollars. #
Si vous êtes à la barre d’un média emporté par le tourbillon d’Internet, effleurant les écueils du péage et de la gratuité, il y a une personne que vous voulez avoir avec vous sur le pont: Jeff Jarvis. Il est d’ailleurs conseiller de grands éditeurs comme Digital First ou, au Canada, Postmedia, et aussi conférencier à Davos, chroniqueur au Guardian, directeur du centre pour les entrepreneurs en journalisme de la City University of New York (CUNY). #
Je ne cacherai pas qu’il fait partie de mon panthéon professionnel. Jeff Jarvis était à Montréal le 14 février dernier, invité par l’Institute for the Public Life of Arts and Ideas (IPLAI) de l’université McGill (L’Institut pour la vie publique des arts et des idées: on ne saurait imaginer plus beau titre). J’ai eu le privilège d’écouter sa conférence avec une vingtaine de personnes, puis d’avoir une conversation à bâtons rompus avec lui autour d’un verre en petit comité. #
Alors, alors? Où s’en vont les médias selon Jeff? Ses réponses sont étonnamment simples mais certains vont être surpris qu’elles passent par Gutenberg, Shakespeare, la prostate de monsieur Jarvis et les projets de loi de Stephen Harper. Les gens qui sont intéressés par l’avenir des entreprises de médias doivent absolument lire le blog de Jeff Jarvis, Buzz Machine et son premier livre sur les changements apportés par le Web What Would Google Do? D’ici là, voici mes notes sur le contexte et quelques liens pour en savoir davantage. #
Jeff Jarvis – Photo: Ophelia Noor – Some rights reserved
Commençons par Gutenberg. Si l’on remonte si loin, c’est que la révolution apportée par Internet n’a pas d’équivalent contemporain. On aimerait sans doute observer les bouleversements qu’ont connu les tribus d’homo sapiens lors de l’émergence du langage, mais nous n’en avons aucune trace. L’invention de l’imprimerie est donc la dernière révolution des médias qui peut nous aider à comprendre la révolution que nous vivons. #Sur le chemin de Davos, Jeff Jarvis a fait récemment un pélerinage à Mayence, ville de Gutenberg. Il nous a fait remarquer dans sa conférence que si l’on avait demandé à des contemporains de Gutenberg ce que l’imprimerie allait changer dans leur vie, ils n’en auraient eu aucune idée. #
Jeff réfère alors à Elizabeth Eisenstein auteure de The Printing Press as an Agent of Change. Elle y explore « l’influence de l’imprimerie sur la dissémination, la standardisation et la préservation de l’information, et leur effet sur le développement de la Réforme protestante, de la Renaissance et de la Révolution scientifique. » Rien de moins. Pourtant les habitants de Mayence il ya 600 ans ne s’en doutaient pas. Il faudra 50 ou 100 ans avant que les effets de l’imprimerie se manifestent dans le tissu social, quelques siècles de plus pour que les McLuhan et Einsenstein les décodent. #
Première conclusion: si vous êtes dans le brouillard sur les effets de la révolution Internet, c’est normal. On ne peut y voir clair au début d’une révolution. Mais étant donné que la simple invention de l’imprimerie a transformé de façon radicale la religion, la culture et la science, nous savons déjà que la révolution Internet va tout emporter sur son passage. Aucun des vieux modèles ne va survivre intact, y compris les modèles d’affaires des médias. #
Deuxième étape: Shakespeare et compagnie. Jeff Jarvis était à Montréal à l’invitation de Paul Yachnin, directeurde l’IPLAI et fondateur de Making Publics: « Comment la littérature et les arts ont créé aux débuts de l’Europe moderne des « publics », ces nouvelles formes d’association basées sur les intérêts, les goûts et les désirs d’individus ». Jeff avait fait la connaissance de Paul en écoutant à la radio de CBC la série basée sur Making Publics The Origins of the Modern Public produite par David Cayley. (Ou: comment un Américain de passage nous fait découvrir un trésor dans notre jardin). Même si vous n’avez pas le temps d’écouter les 14h de l’émission, je recommande de lire les introductions à chaque émission. #
Nous sommes donc passés de la révolution des médias (par l’imprimerie) à la révolution sociale par la formation de groupes. Pour vous assurer que l’on est toujours en train de comprendre comment faire de l’argent sur Internet, on évoque au passage Here Comes Everybody (à lire absolument) de Clay Shirky: l’auteur y montre qu’Internet révolutionne l’organisation sociale en facilitant comme jamais auparavant la formation de groupes autour d’intérêts communs. #
Troisième étape, on arrive à la prostate de monsieur Jarvis. Sa conférence portait sur le sujet de son dernier livre Public Parts, traduit en français sous le titre Tout nu sur le Web: Plaidoyer pour une transparence maîtrisée. Alors que les nouveaux médias provoquent des inquiétudes sur la protection de la vie privée, Jeff Jarvis rappelle qu’il y a aussi dans la civilisation une éthique de la transparence et du partage qui est bénéfique à tous. Nathalie Collard en a parlé dans La Presse: « Pour illustrer son propos, [Jeff Jarvis] a choisi un exemple très intime: son cancer de la prostate, sur lequel il a pratiquement tout dévoilé – y compris les problèmes d’incontinence et d’impuissance liés à sa maladie. En racontant ce qu’il vivait il a également trouvé réconfort et solidarité. » #
Cette éthique de la transparence a des conséquences dans toutes les sphères, y compris la sphère gouvernementale. Actuellement, dit Jarvis, l’information gouvernementale est secrète par défaut et publique par force (les fuites, les lois d’accès à l’information ou les enquêtes journalistiques). L’éthique de la transparence demande que toute information gouvernementale soit publique par défaut et secrète uniquement par nécessité. C’est là que l’on retrouve Stephen Harper, comme l’a rapporté Roberto Rocha dans The Gazette: « En faisant des lois pour contrôler certains types d’information, des gouvernements autoritaires pourraient s’en servir pour faire de la répression politique. » #
Jeff Jarvis nous aide ainsi à définir notre nouvel environnement: un nouveau media qui balaye tous les autres, qui est propice a la formation de groupes, où l’on bénéficie du partage de l’information et de la transparence. #
Lors de la conférence, David Jonhston, journaliste responsable des Communautés à The Gazette a demandé à Jeff Jarvis comment il voyait l’avenir des médias. Il a répondu essentiellement ce qu’il a publié le lendemain dans The Guardian sous le titre: Ce que les médias peuvent apprendre de Facebook. Il faut absolument lire l’original. En voici quelques extraits. #
Et si notre métier, dans les médias d’informations, n’était pas de produire du contenu?Note: Ceci n’est bien sûr qu’un survol. N’hésitez pas à commenter ci-dessous ou à me contacter bruno (at) boutotcom (point) com . # #
Nous pouvons être des plates-formes pour les communautés que nous servons.
Plus nous allons améliorer nos relations avec nos lecteurs, plus nous allons trouver des opportunités d’y générer des revenus par la publicité, certes, mais aussi par le commerce, les services et même l’éducation et la création d’événements.
C’est vague? Non éprouvé? Risqué? Oui, oui et oui.
Mais garder nos vieux modèles est encore plus risqué. #