V pour Vaillants
août 31st, 2009 by bruno boutotAyoye!
Autant je peut être patient et attentionné comme journaliste et consultant, autant je peux prendre la mèche quand je porte ma casquette de consommateur – ou d' »usager » comme dans mon article précédent. Donc mes excuses à mes confrères des médias que j’ai un peu écorchés pour n’être pas en avant de la vague. Déja bien beau d’être dans une vague. #
N’ayant toujours pas 14 têtes et 28 mains, je consacre tous mes temps libres à rédiger media machina dont les premiers articles devraient apparaître très prochainement. Pendant ce temps, j’ai décidé de poster ici de courts billets sur nos médias d’ici et sur le contenu que les médias locaux pourraient accueillir dans leur communauté s’ils en avaient une sur leur site. #
Ce week-end, je suis tombé à la télévision sur le film Le Dernier Samouraï et j’en ai revu quelques scènes avec plaisir: un bon film d’action, une excellente plongée culturelle, de belles images, très bien filmé. Donc, de la haute qualité. Là, on est passé à une pause publicitaire qui était faite d’une annonce locale très longue et très platte (lire: message réalisé à peu de frais occupant beaucoup de temps parce que le temps ne doit pas être bien cher). C’est là que j’ai réalisé qu’on était sur TQS, pardon, V. #
J’ai alors pensé à toutes les méchancetés que j’ai lues sur V et ses propriétaires les Rémillard au cours des dernières semaines: télé de bas étage, raclures de bas fonds, et l’inévitable V comme Vidanges, déjà repris par plusieurs de mes journalistes préférés dont Richard Therrien dans Le Soleil, Steve Proulx dans Voir et aujourd’hui de très jolie façon par Fagstein en deux images lapidaires. Et par moi, je dois le dire, qui l’ai transmis verbalement en ricanant à ma blonde. C’est mon ricanement de consommateur qui allume la télé juste pour y regarder de bons films. #
Mais là, avec ce samouraï, je me suis retrouvé à apprécier un excellent produit sur une chaîne dont je me suis moqué sans même la regarder. Cette observation a brusquement remplacé ma casquette de consommateur par celle du professionnel des médias. En tant que consommateur, on peut dire de n’importe quoi. En tant que pro des médias, on doit se demander: « Qu’est-ce que je ferais si on me donnait une télé comme TQS, avec un bon rayonnement dans un petit marché, des équipements à la hauteur mais aucun revenu garanti? » #
Ce que je veux dire, c’est que le problème d’hériter de TQS, même pour 1 dollar, n’est pas évident. De très grands professionnels s’y sont frottés et n’y sont pas arrivés. Jean Pouliot puis son fils Adrien, qui ont créé Télévision Quatre Saisons en 1985, étaient des opérateurs hors-pairs, comme ils l’ont montré avec CFCF Cable et CFCF TV (qui ont permis de financer TQS pendant tout ce temps). Après un bref séjour chez Quebecor, TQS s’est retrouvée en 2001 chez Henri et Louis Audet de Cogeco qui, en 1985, avaient été en compétition devant le CRTC contre les Pouliot avec leur projet de Télévision Saint-Laurent. Les Audet étaient animés d’une envie longtemps frustrée, ils avaient les moyens et tout le talent du monde: ce sont aussi d’excellents gestionnaires, comme le montre la feuille de route de Cogeco depuis son origine. Comme les Pouliot avant eux, et comme les Rémillard après eux, ils ont consulté tout ce qu’ils ont pu dans le marché américain: exemples de réussites, relookage, chambardements de grille, ajustement de public cible, révision de stratégie de ventes, alouette. #
Euphémisme: pas facile. Le contexte est pourri. On sait que, dans quelques années, on va finir par payer la télé à l’usage. Tout simplement parce que la technologie le permet, et que la technologie va aussi nous permettre de contourner tous ceux qui voudront continuer les abus actuels. Quels abus? Payer pour toutes les chaînes privées qu’on ne regarde pas. Inadmissible. Un vrai racket légal, institué par le CRTC en un temps presque lointain, pour des raison pertinentes à l’époque qui n’ont plus de raison d’être aujourd’hui. Résultat? TVA et V sont les seules chaînes de télévision en français au Québec qui n’ont aucun revenu garanti. Les chaînes publiques sont financées par l’État, les chaînes câblées financées par des abonnements obligatoires ou sur option: ces chaînes peuvent faire fluctuer leur contenu et leur personnel selon les aléas du marché, mais leur existence n’est jamais en question. #
Au Québec, en matière de télévision, seules TVA et V sont des entreprises sans filet. TVA est une entreprise formidable qui a connu du succès avec tous ses propriétaires. V, well..., justement. Pour le privilège d’avoir un environnement télé concurrentiel, je donnerai n’importe quand à V la cotisation obligatoire qui m’est prélevée pour RDS, si je pouvais. Mais je ne peux pas. #
En attendant, je trouve que la situation des Rémillard est intéressante. De toute évidence, à moins qu’ils aient un lapin dans leur casquette, leur succès ne peut se faire seul dans la télé. Par chance, ils ont une opportunité que n’ont pas eu les Pouliot et les Audet: Internet. Notez que cette opportunité est aussi ouverte à leurs concurrents comme TVA, Radio-Canada et même La Presse ou Le journal de montréal. Mais celles-ci font assez de revenus dans le contexte traditionnel pour ne pas ressentir la pression de faire des affaires de façon radicalement différente. #
Par contre, la marge de manoeuvre des Rémillard n’est pas très grande. Ils n’ont pas beaucoup de temps et pas beaucoup d’autre choix que de s’intéresser aux nouveaux modèles d’affaires. Ils ont donc la possibilité de profiter de leur machine et de leur audience pour créer un média dominant sur Internet avec un modèle d’affaires original et lucratif basé sur les communautés. Le feront-ils? #
Juste pour avoir pris en charge TQS et l’avoir transformée en V, je trouve les Rémillard audacieux et courageux. Ils méritent un V comme dans Vaillants. Souhaitons, pour eux et pour nous, qu’ils appliquent cette audace et ce courage à Internet et qu’ils s’intéressent aux revenus qu’ils pourraient générer en se mettant au service de leurs publics. #
#