L’avenir de La Presse est rock’n’roll

mai 13th, 2018 by bruno boutot

La transaction de La Presse pour les nuls

A: le contrôle de l’information, B: la pérennité, C: le contexte, D: les finances.

Note: Je me compte parmi les “nuls”. Mais savoir ce qu’on ne sait pas aide au moins à poser des questions.

A1- Le contrôle de l’information. Power Corporation transfère la propriété du journal La Presse à un organisme à but non lucratif (OBNL). Il s’écrit tellement de bêtises qu’il est nécessaire de faire le point: non, La Presse ne devient pas un “journal indépendant”.

A2- Rappel 1: Tout OBNL est dirigé par un conseil d’administration (CA). Le CA décide qui sont les membres. Le CA de l’OBNL de La Presse est évidemment choisi par Power Corp. (Je pose respectueusement et officiellement ma candidature.)

A3- Rappel 2: Le contrôle de l’information fonctionne à La Presse comme dans beaucoup d’autres journaux: l’éditorial appartient au propriétaire, les journalistes de la rédaction peuvent avoir plusieurs orientations différentes.

A4- Rappel 1 + rappel 2: Absolument rien ne change dans le contrôle de l’information à La Presse. Les éditorialistes écrivent en leur nom sur beaucoup de sujets, mais au nom du propriétaire pour les sujets qu’il décide. Totale continuité. Zéro différence.

B1- La pérennité. On lit, même sous la plume de journalistes, des «bonne chance», des «La Presse abandonnée par Power Corp» des «on leur souhaite que le nouveau modèle fonctionne» ou des «La Presse laissée à elle-même.» Pas vraiment.

B2- Rappel: Power Corp assume les retraites et dote l’OBNL de La Presse de 50 millions$. Et la suite? «Je donne à tout, je ne vois pas pourquoi je ne donnerais pas aussi à La Presse.» Yves Boisvert dit que c’est de l’humour. Pas forcément (voir D).

B3- La plupart des grands journaux dans le monde appartiennent à des milliardaires. Ce n’est pas un hasard. Le contrôle de l’information (éditorial) vaut de l’or. Partout. Ici aussi. Il n’y a aucune raison pour que Power Corp veuille perdre ce levier.

B4- Note: c’est pour cela qu’il faut toujours s’informer auprès de plusieurs sources. Tous les médias sont plus ou moins biaisés: par l’éditorial, mais aussi par le choix des sujets qu’ils couvrent.

B5- Tant que les milliardaires de la planète n’auront pas trouvé un autre moyen de moduler l’information (avec facebook? Google? censure à la chinoise?), La Presse a un avenir assuré.

C1- Le contexte. C’est comme un film d’une série: le titre semble être une nouvelle, mais c’est juste un épisode d’une histoire avec un passé, avec un scénario futur déjà écrit, et des gens brillants qui travaillent sur des variantes depuis des années.

C2- Historiquement, l’événement du jour n’est pas une première: Power Corp s’est déjà «délesté» en mars 2015 des six quotidiens régionaux de Gesca «vendus» à Capitales Médias, de Martin Cauchon.

C3- «Vendus» parce que nul ne sait rien de cette transaction et qu’aucun média concurrent n’a enquêté sur ce sujet (!!!). Donc, on en est rendu à des conjonctures: ces quotidiens — comme les autres — sont déficitaires; Martin Cauchon n’est pas milliardaire;

C4- Donc, il y a un arrangement entre Power Corp et Capitales Médias pour en assurer la pérennité. Oui, le gouvernement provincial a prêté récemment 10 millions$ à Capitales Médias. Mais ça n’en fait pas un modèle d’affaires.

C5- Le modèle de délestage «Capitales Médias» ne fonctionne pas. De plus, le prêt du gouvernement a fait grincer des dents et n’est pas renouvelable tel quel. Ça explique la conception très créative d’un OBNL pour La Presse.

C6- Il est fort probable que Power Corp a déjà fait les démarches pour s’assurer de la suite du scénario auprès des gouvernements fédéral et provincial. Sinon, l’OBNL La Presse n’existerait pas (pas encore).

C7- Donc les gouvernements fédéral et provincial vont prochainement mettre en place des systèmes de financement directs ou indirects des médias. Il va y avoir des subventions «de transition numérique», des crédits d’impôts et des fondations «charitables».

C8- Pour une deuxième fois en quelques années, les médias du monde occidental vont regarder de près un scénario de La Presse. Le choix «tout tablette» était audacieux, mais n’a pas donné les résultats escomptés.

C9- Avec le modèle OBNL, il faut reconnaître aux stratèges de La Presse leur créativité et aux financiers de Power Corp leur confiance. Ce n’est pas la situation idéale (rien ne vaut le cash) mais c’est du beau travail.

D1- Les finances. On ne sait rien des finances de La Presse: ni les revenus, ni les dépenses. Guy Crevier qualifie les estimations de pertes de Power Corp dans La Presse de «folklore», mais il ne tient qu’à lui de révéler les vrais chiffres.

D2- Par ailleurs, on peut être sûr que Power Corp a les meilleurs fiscalistes, donc que les «pertes» peuvent être des «investissements» ou toute autre appellation comptable favorable. Le chiffre de 500 millions$ n’est pas déraisonnable. Mais s’ils s’en fichent, nous aussi.

D3- Ce que signifie vraiment le passage de La Presse d’une entreprise à but lucratif à un OBNL, c’est que les gestionnaires de Power Corp ne voient pas comment La Presse pourrait devenir rentable telle quelle dans un avenir prévisible. C’est un aveu d’impasse.

D4- Donc, si la rentabilité n’est pas prévisible, l’objectif du modèle OBNL présenté est d’assurer à la fois la pérennité de La Presse, le contrôle par Power Corp ou ses délégués et la meilleure option fiscale pour Power Corp.

D5- Note: je ne partage pas l’analyse de Power Corp sur la rentabilité éventuelle des médias. Les propriétaires de médias n’ont pas fini de payer pour leur péché originel: ils sont tous allés sur le Web sans se soucier de la monétisation sur ce medium.

D6- Comme le décrit McLuhan à tout changement de medium, ils ont simplement transféré dans l’univers numérique les structures traditionnelles de relation avec les lecteurs (produit, revenus).

D7- La seule prévision qu’on entendait au Québec vers 2000, c’était: «Les Américains vont finir par inventer quelque chose» (authentique). Mais les Américains n’ont rien inventé. Du moins pas encore, et pas assez tôt pour La Presse.

D8- Les médias pensent toujours qu’ils font un produit. L’univers numérique est fait de relations. L’onde de choc ébranle en ce moment les structures, ce qui ouvre (enfin) la porte à de nouvelles pratiques.

D8- Il se fait beaucoup de travail en ce sens en Europe et aux États-Unis, entre autres dans les OBNL (tiens-tiens) et surtout dans les relations avec le public: participation au contenu rédactionnel, participation au financement.

D9- La Presse n’a donc pas fini d’évoluer. Ses artisans sont provisoirement dans une position privilégiée. Mais les bouleversements ne font que commencer. Le futur est rock’n’roll.

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Note: je suis l’auteur de Media Machina, un essai sur les structures du Web pour les médias, en cours d’adaptation en français.

Cet article est également publié sur la plateforme Medium.

Une personne à la fois: les artistes montrent la voie aux médias

juillet 19th, 2013 by bruno boutot

Quand Moment Factory a demandé des volontaires pour participer à un focus-group, je me suis tout de suite inscrit. Bien sûr, le nom seul de Moment Factory brille d’enchantement et d’innovation.

Mais c’est le projet Mégaphone, dans le Quartier des spectacles à Montréal, qui m’intéressait d’abord: « L’objectif est de proposer aux passants une prise de parole originale au coeur de l’espace public en projetant leurs mots sur une façade géante ».

On touche ici l’une des questions les plus importantes que nous pose le Web: comment accueillir des individus, les aider à s’exprimer et à diffuser leur contenu.

C’est l’exact envers des médias de masse, la nouveauté essentielle des réseaux sociaux et des communautés: au lieu de diffuser un contenu à des foules, on accueille les gens un à un et on les aide à créer leur propre contenu.

Anthony Gormley, Field, 1991-2012

Anthony Gormley, Field, 1991-2012

C’est LA grande question dont dépend le succès de nombreux projets, non seulement dans le domaine des arts et du divertissement mais pour tous les médias, le marketing et le commerce.

Pas étonnant, donc, qu’un jury présidé par François Girard ait choisi Mégaphone comme gagnant du concours proposé par le Partenariat du Quartier des spectacles et l’Office national du film. On ne peut faire plus contemporain. Que le projet soit ludique et public le rend encore plus irrésistible.

Qu’est-ce que ça a à voir avec les médias sur le Web? Tout. Quand un des plus grands penseurs du Web et du journalisme, Jay Rosen, a écrit en 2006 The People Formerly Known as the Audience, il ne disait pas « La masse que l’on appelait autrefois l’auditoire » mais bien « Les gens, les individus que l’on appelait autrefois l’auditoire ».

Quand Clay Shirky a publié en 2008 son oeuvre majeure sur la révolution du Web Here comes Everybody, il ne disait pas « Les masses arrivent » mais bien « Tous les individus arrivent, un à un ».

Comme c’est souvent le cas, les artistes ont exprimé cette nouvelle perception du Web bien avant le monde du marketing et du commerce. Et pour ceux et celles d’entre nous qui ne sont pas « du » Web, les artistes construisent des métaphores bien plus claires que nos gourous conférenciers du marketing.

Ainsi, depuis 1991, Anthony Gormley crée Field, des installations de dizaines de milliers de statuettes en argile faites à la main, toutes différentes. En 2006, il exposait à la Biennale de Sydney 180 000 statuettes, et 200 000 en 2012 en Grande Bretagne.

Et en 2009 Gormley organisait sur le Quatrième socle de Trafalgar Square, à Londres, One & Other, où il offrait la place à 2400 membres du public qui sont venus y exprimer, un à un, tout ce qu’ils ont voulu.

Marina Abramovic: The Artist Is Present, MoMA, 2010

En 2010 Marina Abramovic performait The Artist Is Present au Museum of Modern Art (MoMA) de New York où elle a reçu un à un, face à face, plus de 1500 personnes du public.

Un peu plus tard la même année, Ai Wewei exposait au Tate Modern, à Londres, Sunflower Seeds: une centaine de millions de graines de tournesol en céramique peintes à la main, une à une.

Et en 2011 Mouna Andraos et Melissa Mongiat de Daily tous les jours ont créé à Montréal pour le Quartier des spectacles leurs 21 balançoires, qui ont reçu en 2013 le grand prix Best in Show des Interaction Awards.

C’est selon moi une des grandes oeuvres d’art de ce siècle* parce qu’elle incarne le nouveau potentiel créé par l’irruption du Web dans nos vies:  l’accueil d’individus du public qui sont invités à créer leur propre oeuvre musicale en collaborant entre eux de façon ludique.

L’oeuvre au départ n’est qu’un contexte avec des règles claires; elle ne peut cependant être réalisée que par la participation active d’individus, un à un.

C’est la première leçon dont peuvent s’inspirer les médias, le marketing et le commerce sur le Web: comment recevoir les individus un à un et les rendre heureux non par la consommation d’un produit ou d’un contenu mais par leur propre co-création.

Ce ne sont pas des expertises que l’on retrouve dans nos médias, spécialisés dans la fabrication et la vente de produits. C’est cependant une pratique qui pourrait être établie en parallèle à leurs activités, d’autant qu’elle peut-être source de revenus considérables.

Pour cela, l’accueil et la participation ne sont que les premières étapes. Doivent s’y ajouter la gestion des identités, la gestion de communauté, la gestion intégrée du commerce.

On ne sera pas étonné que ce soient des artistes qui aient commencé à générer des revenus sur le Web de cette façon:  en recevant un à un les membres du public et en leur faisant créer leur contenu.

C’est ainsi que depuis mars 2012 je suis un Little Monster sur le site qui accueille les fans de Lady Gaga. Si vous êtes curieux, inscrivez-vous: c’est gratuit et c’est la seule façon de voir ce qui s’y passe.

Lady Gaga y excelle à créer un sentiment d’intimité qui encourage les membres à se présenter, à proposer des costumes de scène, à partager des créations, des idées et des opinions. Évidemment que Gaga y parle de ses spectacles, de ses chansons, de ses produits dérivés. Tout est dans la manière, l’accueil, la participation, l’appartenance, la réputation.

Je fais aussi partie du premier million de membres admis ensemble chez Pottermore en mai 2012: c’est le site créé par l’auteur J. K. Rowling autour de ses romans Harry Potter. Tout le monde y est sorcier ou magicienne et y reçoit un nom. J’y suis FrogRook15940. C’est également gratuit et on peut y trouver des potions, des incantations, des baguettes magiques et y vivre des aventures.

Oh! Il y a aussi une boutique où l’on trouve des livrels, des livres audio et des produits dérivés. Ça n’a rien à voir avec les points et la réputation que l’on gagne dans les aventures. C’est juste disponible aux membres. Et il s’y est vendu pour 5 millions $ de livrels au cours du premier mois.

Ainsi des artistes montrent la voie aux médias. De nouveaux types de revenus peuvent surgir quand on acueille sur le Web une partie de son public comme des individus, qu’on leur donne l’opportunité de créer et qu’on leur permet d’acquérir une réputation.

Pas « à la place des médias de masse sur le Web », mais « en plus », « en parallèle »:  les médias ont désormais l’opportunité d’innover avec de nouvelles plateformes où les individus peuvent participer au contenu et au commerce, une personne à la fois.

Pour en savoir plus:

The Business Model Is Not a Mystery
Comment faire tout de suite du journalisme de collaboration
18 Useful Tips for Doing Business With a Welcome Platform
Vidéo: Médias et marchés: Bienvenue au Welcome Motel
Définition: Communauté sur le Web

Pottermore

*Note: C’est bien sûr ironique que cette oeuvre majeure d’art contemporain campe de façon désinvolte et saisonnière derrière le Musée d’art contemporain de Montréal alors qu’elle pourrrait en être le coeur.

L’anglais, langue des machines, est un impératif culturel

janvier 21st, 2013 by bruno boutot

Cette phrase m’a tout de suite intrigué, et même choqué, dès que je l’ai vue dans le tableau de bord de mon Tumblr:

BRIDLE-00

Elle vient du Tumblr The New Aesthetic de James Bridle, qui cite donc un twitt de Laurent Haug. Laurent étant franco-suisse, ce n’est pas de l’impérialisme anglo, mais un constat de travail.

Autant j’aime lire – et à l’occasion vivre – en anglais, autant j’ai toujours cru que l’on pouvait aussi bien utiliser le français en toutes circonstances.  Mais cette phrase-massue dit sans détour que ce n’est pas vrai.

En plus,  dans ce twitt,  le mot-clé #codeisculture souligne le rôle que la programmation joue dans notre vie quotidienne, immergée dans le numérique.  De la même façon que je vis à Montréal en français dans un urbanisme britannique, toute notre vie en français sur les outils numériques est donc infusée de structures fondamentales conçues en anglais. Et quiconque travaillle à édifier ces structures n’aurait d’autre choix que de le faire en anglais.  Shocking indeed!

Pour en avoir le coeur net, j’ai tout de suite vérifié cette information auprès de Sylvain Carle, un ami non seulement programmeur mais qui est aussi très conscient des dimensions culturelles de nos enjeux numériques. Je lui ai posé la question sur Twitter de façon ouverte, ce qui fait que d’autres personnes ont répondu. Voici donc la suite de nos échanges sur Twitter:

Laurent Haug: Learning English is important, not only because it is the international language, but because it’s the language of machines #codeisculture

Bruno Boutot: .@sylvain Est-ce que c’est vrai? Jusqu’à quel point? Le code ou la documentation?

Damien Guinet: print, split, echo, if, require, include, else, head, body, strong, background, size, color… #php #html #css

Damine Guinet: Les documentations sont traduites, mais le code utilise des expressions anglo, effectivement.

Sylvain Carle: c’est vrai, les langages de programmation les plus utilisés sont tous en anglais (du moins la syntaxe pour programmer).

Maxime Jobin: Très vrai. De plus, la documentation et les mises à jour (ex: Gmail) sortent en anglais avant toute autre langue.

Merci donc à James, Laurent, Damien, Sylvain et Maxime d’avoir éclairci ce point. La politique des langues ne fait généralementpas partie de mes sujets, mais dans le cadre du Plan Numérique pour le Québec, la fabrication de nos outils et de nos espaces numériques prend de l’importance.

Ses conséquences peuvent s’articuler de différentes façons:
– La culture numérique devient un élément essentiel de toute culture
– Pour assurer son rayonnement, toute culture doit pouvoir produire, si nécessaire, des outils numériques qui lui sont propres
– Pour produire des outils numériques qui lui sont propres, le Québec doit pouvoir compter sur des personnes, francophones bilingues ou anglophones, qui programment en anglais.

Autrement dit: la survie culturelle du Québec francophone dans l’espace numérique repose sur notre maîtrise de l’anglais.

Intéressant paradoxe. La connaissance de l’anglais reposait jusqu’ici au Québec sur l’argument économique. C’est désormais un argument culturel.

J’y reviendrai dans une série sur le Plan numérique pour le Québec. #PlanQc

sPEAKING-cODE

Illustration de couverture du livre Speaking Code Coding as Aesthetic and Political Expression By Geoff Cox and Alex McLean, via culturevis Flickr

Note pour geeks: J’ai passé plus de temps que prévu à faire cet article parce que j’ai expérimenté diverses façons de présenter des twitts. Je n’aime pas Storify parce que sa façon de reproduire les twitts interrompt le fil de la lecture. Il en est de même avec les solutions d’incrustation proposées par Twitter, ou par WordPress. Tous trois ont le même défaut: en voulant reproduire l’intégrale d’un twitt, y compris sa structure et tous ses hyperliens, on empêche de mettre en évidence le simple contenu du twitt. Si ça intéresse un codeur – chez Storify, Twitter, WordPress, Spundge ou autre – j’aimerais bien avoir un widget qui formate les twitts selon la solution que j’ai choisie ci-dessus. Ça ressemble plus au formatage classique d’un dialogue, et on trouve si besoin dans l’hyperlien toutes les informations sur le twitt original.

Les #casseroles du 26 mai en photos et videos

juin 1st, 2012 by bruno boutot

Une expérience d’utilisation de Storify, un système gratuit qui permet de mettre en page dans une histoire des éléments de plusieurs sources comme Twitter, facebook, YouTube, flickr, etc. Ici je n’ai utilisé comme source que Twitter.

C’était le 26 mai dernier, une chaude soirée de printemps, un samedi. Depuis plusieurs jours se succédaient des températures estivales alors que chaque soir de plus en plus de casseroles tintinabulaient dès 20h.

J’émergeais juste de la fièvre, réelle, qui m’avait possédé toute la semaine, sous l’effet d’un méchant virus. Incapable de lire l’ordi ni l’imprimé et même indifférent, transpirant, mouchant, éternuant, somnolent, les errances de pièce en pièce semées de kleenex, comme un parterre de fleurs blanches alentour.

Et là, donc, j’émergeais. La fièvre se retirait, laissant soudain quelques neurones s’éclairer. Je m’installais devant l’écran cherchant à haute voix le bon « hashtag » qui me permettrait de suivre les événements alors qu’approchait l’heure des casseroles. (Le « hashtag » ou « mot-clic » est une convention sur Twitter: le « # » suivi d’un mot-clef permet à plusieurs personnes d’indiquer qu’elles parlent du même sujet.) Je relisais la chronologie des événements joliment compilée par @xkr.

La lutte des étudiants n’avait pas entrainé de chocs trop violents les soirs précédents, mais la tension montait. La température clémente aidant, je voyais sur Twitter dans mes relents de fièvre la ville bruisser de préparatifs. Ne pouvant aller voir, l’idée me vint de documenter. Après les premiers tweets, je pensais un instant relever la diversité des provenances à travers la ville et la province, mais je réalisai que d’autres se chargeaient déjà d’en dresser la carte. Inspiré par une phrase iconique – et ironique – des forums américains (« A pic or it doesn’t exist »), je décidais alors de ne documenter que les images.

Dans le fil Twitter, il faut cliquer pour voir apparaître une image. Et souvent, – sans doute pour un détail technique de ma machine – les vidéos n’apparaissaient pas. Ne voulant transmettre que les images que j’avais vues, je me suis retrouvé à Re-Twitter (RT) essentiellement toutes les photos que je rencontrais et les quelques videos que je voyais (mais ici, le système Storify qui me permet de montrer les tweets tels quels, n’affiche aucune vidéo, juste le lien qui y conduit).

J’avais d’abord ouvert deux onglets (tabs) que je croyais les plus répandus: l’un pour #casserolesencours, l’autre pour #casseroleencours. Voyant qu’il était aussi utilisé, j’ai rajouté ensuite #casseroles. Il n’y a là rien d’exhaustif: beaucoup d’autres photos et vidéos ont été postées sur Twitter sans hashtag ou avec différents hashtags, sans compter celles qui ont été postées sur facebook, flickr, Instagram, YouTube ou ailleurs. Noter aussi que les photos sont dans l’ordre où elles ont été diffusées, pas où elles ont été prises, comme en fait foi l’éclairage.

En haut de mon écran, sur chaque onglet apparaissent le nombre de tweets non-lus: 14, 6, 10. J’allais à celui qui en avait le plus, je retwittais seulement les images et recommençais avec l’onglet suivant, mécaniquement, obsessivement, passionément. La qualité des photos et des quelques vidéos m’importait peu: c’est de témoignage qu’il s’agit, celui d’une foisonnante improvisation collective.

Quel paradoxe: des petits groupes épars sur un grand territoire qui jouent la même musique mais ne s’entendent pas, unis ici par des images sans son. Tellement Web, tellement 2012: Small Pieces Loosely Joined, dit David Weinberger, Here Comes Everybody, dit Clay Shirky, The People Formerly Known as the Audience, dit Jay Rosen.

Semi-zombie, cliquant et recliquant, c’est ce que je fis, fasciné, sans arrêt, quatre heures durant.

Voici donc, en 180 et quelques images, mon tour enfiévré du Québec en casseroles de la soirée du 26 mai 2012.

Bienvenue à MIXMÉDIAS Montréal le 17 mai

mai 9th, 2012 by bruno boutot

J’ai le plaisir de vous inviter personnellement à la conférence MIXMÉDIAS à Montréal le 17 mai prochain. Je crois que c’est la journée professionnelle la plus enrichissante et la plus excitante du printemps et je serais heureux que vous en fassiez partie. Mais d’abord qu’est-ce que c’est?

Quand Michel Chioini m’a demandé en mars dernier si je pouvais organiser une conférence internationale dans le cadre de CONNECT 2012, je devais être un peu inconscient, mais j’ai dit oui avec enthousiasme.

Le marketing et les médias sur le Web? J’y passe 15 heures par jour depuis 15 ans. C’est mon métier, mes revenus, mon émerveillement quotidien. L’idée de pouvoir inviter à Montréal les meilleurs experts m’enchantait. Bien sûr, il fallait trouver des gens disponibles en si peu de temps mais la réponse a été formidable, y compris de ceux et celles qui n’ont pu se libérer.

Je vois tous les jours les problèmes auxquels mes collègues du marketing, des médias et de la publicité sont confrontés sur le Web. Avec eux, avec elles, je voulais obtenir la réponse à nos deux questions urgentes:

Revenus: Où est l’argent sur le Web? Pas demain, pas bientôt : en ce moment!

Contenus : quels nouveaux contenus marchent le mieux sur le Web? Now!

J’ai reçu des contributions exceptionnelles, que nous allons pouvoir intégrer et utiliser avec profit tout de suite.

L’expérience qu’a Ben Kunz des achats médias est redoutable, ses analyses sont brillantes, son humour, incisif. Et dans un milieu porté sur l’emphase (non, je ne parle pas de toi, voyons) son attitude « no bullshit » est rafraichissante. On démarre la journée du bon pied.

Encore aujourd’hui, trop d’entre nous en marketing et médias sont désarçonnés par les revenus sur le Web. C’est le moment qu’on se mette à jour.

Bryan Segal va y contribuer : la plupart des grandes entreprises utilisent Comscore. Bryan nous présente leur whitepaper sur le nouvel univers de la publicité. Il est suivi du panel de vedettes du Bureau de la publicité sur Internet : avec elles, nous allons tout savoir sur les Enchères en temps réel (RTB).

Andy Nulman a perdu de l’argent sur Internet pour ses entreprises mais maintenant il en gagne. On va voir comment, de toutes les couleurs. L’expertise de Michelle Blanc est sans égale et elle nous promet d’aller droit au but : « Comment faire du ca$h avec du contenu »!

Parallèlement, nous abordons le contenu avec le grand Stowe Boyd qui nous honore de sa participation. Son image des médias qui deviennent liquides sur le Web rend soudain limpide le paysage confus du Web.

Arjun Basu a vu ses clients passer de l’imprimé à Internet, puis à l’intégration du Web à l’origine de leurs stratégies. Il va échanger avec Craig Silverman, un des plus renommés journalistes du Web, qui se trouve être Montréalais.

La grande découverte du Web est le contact direct avec les individus de nos publics. Après les médias sociaux, de plus en plus de grandes entreprises et de vedettes créent leur propre plate-forme pour recevoir leurs membres… et faire du commerce avec eux!

Craig va donc interviewer William Mougayar, CEO d’Engagio, avec un point de vue fracassant : « La conversation est le nouveau contenu du Web! ». On a hâte, d’autant qu’ils sont suivis par Jessamyn West, directrice de la communauté MetaFilter, une des plus belles réussites du Web contemporain. Son expérience est incomparable dans l’art et les techniques pour générer du contenu de qualité avec nos membres et les fidéliser.

Rich Millington, de Londres, est le meilleur spécialiste mondial des communautés pour les entreprises. Il est avec nous et on va en profiter.

Des conférenciers m’ont demandé qui vous êtes. Je leur ai dit : « Les plus brillants de Montréal. Ils vont vouloir vous parler et vous poser des questions. Donnez nous ce que vous avez de meilleur. » Ils et elles s’attendent donc à vos questions dans la salle et dans les couloirs. N’hésitez pas.

Bien sûr je vous invite!
L’endroit est fantastique: c’est le siège de l’OACI, une agence de l’ONU!

Si votre nom est sur cette page, je vous invite à MIXMÉDIAS à mes frais. Écrivez-moi bruno@boutotcom.com
Si vous êtes mon contact sur facebook ou Linkedin, ou si je vous suis sur Twitter (ou mon autre compte en angalsi), vous êtres « membre de boutotcom » et vous avez droit à un tarif privilégié. Sélectionnez boutotcom dans la colonne « Rabais ».
Si vous êtes 10 ou plus, contactez info@eventia.ca pour le tarif spécial.

C’est une journée incroyablement riche mais relax: on est entre nous. On devrait s’amuser, surtout si vous êtes là. :-)

Suivre @MIXMEDIAS #MIXMEDIAS Like MIXMÉDIAS

WEBCOM 1/8

Référence: les communautés pour entreprises

février 27th, 2012 by bruno boutot

J’ai eu le privilège de participer le 23 février dernier à une conversation entre Rich Millington et Blaise Grimes-Viort, de Londres, deux des plus grands spécialistes au monde des communautés sur le Web pour les entreprises.

On parle ici de communautés qui appartiennent aux entreprises: celles où l’on reçoit, sur un site spécialisé, des gens identifiés qui ont des activités communes autour de votre marque ou de vos produits. Elles sont très distinctes des médias sociaux qui sont certes des outils formidables (j’y reviendrai), mais qui ne sont pas « chez vous ».

Rich Millington est l’auteur de Feverbee, sans doute le blog qui donne le plus d’information fiable et utile sur les communautés, donc aussi le plus consulté et respecté dans le domaine. Il est aussi directeur du Pillar Summit, un cours pour les professionnels des communautés de marques, donné par des professionnels des communautés.

Blaise Grimes-Viort est Directeur des communautés et de la participation de eModeration, un des premiers bureaux de services sur la gestion de communautés pour entreprises, avec 160 spécialistes opérant dans 50 langues. Son blog personnel est une référence indispensable pour la veille sur les communautés.

……………….

Rich Millington, de Feverbee, et Blaise Grimes-Viort, de eModeration

Avant de mentionner quatre points essentiels que Rich et Blaise ont eu le temps de survoler en une heure, un petit tour d’horizon sur les communautés pour entreprises.

Bizarrement, on va commencer par ma famille. Une bonne partie de ma famille élargie se trouve en France ou dispersée sur la planète (une centaine de personnes). Entre 1995 et 2007, j’ai dû faire ou faire faire une douzaine de sites, de forums, de galeries photos sur smugmug, picasa ou flickr, de cartes Google et de groupes sur YouTube ou autre pour leur créer des lieux de conversation et de retrouvailles. Résultats: pas grand chose. Même les plus jeunes trouvaient trop compliqué de s’inscrire, de commenter, de contribuer. Puis vers 2009-2010, ça a commencé: « Bruno! qu’est-ce que tu fais sur Facebook? » Ben voyons, c’est mon travail. Et j’ai vu arriver ainsi frères, soeurs, cousins, cousines, neveux nièces, oncles et tantes, rejoints par cousins aux deuxième et troisième degré.

Tout ce beau monde, dont la plupart ont des ordinateurs au bureau et à la maison, se servaient seulement du courriel pour les communications courantes et familiales. Soudain, ils se sont mis sur Facebook à transmettre des histoires, des photos, des vidéos, à partager des niaiseries et des jeux idiots, et enfin à raconter des fêtes, des naissances, des mariages, des anniversaires et mille émotions. Forum? Quel forum? Quels groupes? Quels hyperliens! Quels codes d’incrustation? Ils ont découvert cette merveille de notre temps qu’est la communication personnelle sur le Web. Et ils ont appris à s’en servir sans même s’en rendre compte.

Voilà une des premières raisons de l’importance de Facebook: il a servi (et continue de servir) de rampe d’accès au Web pour des millions de gens…

…et des millions d’entreprises!

Bien sûr, on le voit tous les jours, le Web peut faire de la communication de masse. Mais ça n’a rien de révolutionnaire. On sait faire de la communication de masse depuis des siècles, du marketing professionnel depuis une centaine d’année. La vraie révolution du Web, dont nous commençons juste à prendre conscience, c’est la création de plates-formes où se retrouvent des individus. C’est le sens exact de « social »: interactions entre des personnes.

Quand il s’agit de transmettre des produits ou des marques à des masses statistiques, un média de masse n’est pas « social », le marketing n’est pas « social ». Le « social », c’est communiquer avec des gens un par un, des individus qui ont une identité, une personnalité, une originalité et une mémoire.

Arrivent donc les médias sociaux et réseaux sociaux dont le premier mérite est de familiariser les gens et les entreprises avec la communication de personne à personne. Je ne saurais trop encourager les professionnels des médias et du marketing à plonger dans les médias sociaux, à lire Michelle Blanc (Les Médias Sociaux 101 et 201) et Kim Auclair (Les affaires, Niviti), à suivre le cours de Martin Lessard à l’INIS. Martin a réuni autour de lui les meilleures community managers de réseaux sociaux à Montréal!

Après la familiarisation, il est indispensable aujourd’hui de savoir exploiter le potentiel des médias sociaux: ce sont des outils formidables pour les relations publiques, pour la communication en temps réel avec les auditoires, pour le service à la clientèle et aussi… pour orienter vos meilleurs ambassadeurs vers votre lieu de rayonnement principal: votre communauté, chez vous.

John Battelle, le célèbre cofondateur de Wired et des conférences Web 2.0, fondateur de Federated Media, a récemment mis en garde contre les mauvaises utilisations de Facebook:

It drives me crazy to see major brands using expensive television time to drive consumers to a Facebook program that lives exclusively inside Facebook. I’m sure it works in the short term – you get folks there, they “like” or “follow” your brand, and they engage in whatever promotion or campaign is currently running. But if that campaign, promotion, or program lives only on Facebook, well, good luck deriving all the value you possibly can from it.

If that same program lives out on the Independent web – your own site, on your own domain, with your own platform – then you own all the data and insights, and you can broker those assets back into a Facebook page, or anywhere else you may care to. It doesn’t work the other way around.

Put Your Taproot Into the Independent Web

Un constat d’ailleurs vertement partagé par notre experte en médias sociaux:
Nouveaux arguments sur pourquoi Facebook c’est de la merde dans un contexte d’affaires.

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Trois liens utiles pour les entreprises intéressées à créer leur propre communauté :

Blaise Grimes-Viort donne sa sélection de 10 organismes qui offrent des Cours de gestion de communauté pour devenir un meilleur gestionnaire de communautés.

Rich Millington offre une référence fantastique: Comment bâtir une communauté: la liste ultime de ressources (2012).

Enfin, pour mémoire, ma description des structures fondamentales de ce type de communauté: Définition: Communauté sur le Web.

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Quatre échanges entre Rich et Blaise mentionnant des concepts-clefs lors d’étapes successives de la vie d’une communauté.

Contexte: ce sont juste mes notes prises au vol, donc pas des citations verbatim.

1 – À la création : Écouter

Une des fonctions essentielles de la création d’une communauté est d’écouter nos membres. L’animateur de la communauté en devient donc son porte-parole et son défenseur. Quand un client met un junior en charge de sa communauté, ça devient un problème majeur: une telle personne n’est pas en position de se battre pour sa communauté et de négocier entre la communauté et le client.

2 – À la naissance: Appartenance

Un des facteurs les plus importants pour la durée de la participation à une communauté est le sentiment d’appartenance.  Lorsqu’on sollicite les premiers membres à la création de la communauté, il ne faut pas hésiter à leur demander s’il veulent devenir « membre fondateur »: il ne suffit pas qu’un membre appartienne à la communauté, il faut que la communauté lui appartienne.

3 – En croissance: Partager

Faut-il créer de nouveaux postes de modérateurs alors que la communauté grandit? Pas forcément: créez pour vos meilleurs membres des rôles qui sont utiles à l’animation et à la modération de la communauté. Il faut ouvir la porte et permettre aux membres de vous aider.

4 – En relance: Désirs et besoins

Que faire quand une communauté ne décolle pas? C’est le moment de réévaluer avec le client si la communauté a été créée pour de bonnes raisons. Il faut savoir distinguer entre les désirs et les besoins. Si une communauté a été créée pour répondre à un désir, sa nécessité va passer. Les désirs se comblent ou changent, les besoins demeurent. Il ne faut pas hésiter à réorienter une communauté, ou même à la fermer pour ouvrir un projet qui répond davantage à un besoin.

 

On reviendra aussi sur une idée essentielle: une communauté n’est pas faite pour l’ensemble vos consommateurs, seulement pour les membres qui collaborent à votre projet. N’hésitez pas à commenter ci-dessous ou à me contacter bruno (at) boutotcom (point) com

Jeff Jarvis: le futur des médias dans l’écho de Gutenberg

février 19th, 2012 by bruno boutot

La grande question pour l’industrie des médias est bien sûr: Où va le Web? Ou plutôt: Quel effet Internet va-t-il avoir sur le comportement de nos publics et sur nos modèles d’affaires? C’est évidemment la question à 100 millions de dollars.

Si vous êtes à la barre d’un média emporté par le tourbillon d’Internet, effleurant les écueils du péage et de la gratuité, il y a une personne que vous voulez avoir avec vous sur le pont: Jeff Jarvis. Il est d’ailleurs conseiller de grands éditeurs comme Digital First ou, au Canada, Postmedia, et aussi conférencier à Davos, chroniqueur au Guardian, directeur du centre pour les entrepreneurs en journalisme de la City University of New York (CUNY).

Je ne cacherai pas qu’il fait partie de mon panthéon professionnel. Jeff Jarvis était à Montréal le 14 février dernier, invité par l’Institute for the Public Life of Arts and Ideas (IPLAI) de l’université McGill (L’Institut pour la vie publique des arts et des idées: on ne saurait imaginer plus beau titre). J’ai eu le privilège d’écouter sa conférence avec une vingtaine de personnes, puis d’avoir une conversation à bâtons rompus avec lui autour d’un verre en petit comité.

Alors, alors? Où s’en vont les médias selon Jeff? Ses réponses sont étonnamment simples mais certains vont être surpris qu’elles passent par Gutenberg, Shakespeare, la prostate de monsieur Jarvis et les projets de loi de Stephen Harper. Les gens qui sont intéressés par l’avenir des entreprises de médias doivent absolument lire le blog de Jeff Jarvis, Buzz Machine et son premier livre sur les changements apportés par le Web What Would Google Do? D’ici là, voici mes notes sur le contexte et quelques liens pour en savoir davantage.


Jeff Jarvis – Photo: Ophelia NoorSome rights reserved

Commençons par Gutenberg. Si l’on remonte si loin, c’est que la révolution apportée par Internet n’a pas d’équivalent contemporain. On aimerait sans doute observer les bouleversements qu’ont connu les tribus d’homo sapiens lors de l’émergence du langage, mais nous n’en avons aucune trace. L’invention de l’imprimerie est donc la dernière révolution des médias qui peut nous aider à comprendre la révolution que nous vivons.

Sur le chemin de Davos, Jeff Jarvis a fait récemment un pélerinage à Mayence, ville de Gutenberg. Il nous a fait remarquer dans sa conférence que si l’on avait demandé à des contemporains de Gutenberg ce que l’imprimerie allait changer dans leur vie, ils n’en auraient eu aucune idée.

Jeff réfère alors à Elizabeth Eisenstein auteure de The Printing Press as an Agent of Change. Elle y explore « l’influence de l’imprimerie sur la dissémination, la standardisation et la préservation de l’information, et leur effet sur le développement de la Réforme protestante, de la Renaissance et de la Révolution scientifique. » Rien de moins. Pourtant les habitants de Mayence il ya 600 ans ne s’en doutaient pas. Il faudra 50 ou 100 ans avant que les effets de l’imprimerie se manifestent dans le tissu social, quelques siècles de plus pour que les McLuhan et Einsenstein les décodent.

Première conclusion: si vous êtes dans le brouillard sur les effets de la révolution Internet, c’est normal. On ne peut y voir clair au début d’une révolution. Mais étant donné que la simple invention de l’imprimerie a transformé de façon radicale la religion, la culture et la science, nous savons déjà que la révolution Internet va tout emporter sur son passage. Aucun des vieux modèles ne va survivre intact, y compris les modèles d’affaires des médias.

Deuxième étape: Shakespeare et compagnie. Jeff Jarvis était à Montréal à l’invitation de Paul Yachnin, directeurde l’IPLAI et fondateur de Making Publics: « Comment la littérature et les arts ont créé aux débuts de l’Europe moderne des « publics », ces nouvelles formes d’association basées sur les intérêts, les goûts et les désirs d’individus ». Jeff avait fait la connaissance de Paul en écoutant à la radio de CBC la série basée sur Making Publics The Origins of the Modern Public produite par David Cayley. (Ou: comment un Américain de passage nous fait découvrir un trésor dans notre jardin). Même si vous n’avez pas le temps d’écouter les 14h de l’émission, je recommande de lire les introductions à chaque émission.

Nous sommes donc passés de la révolution des médias (par l’imprimerie) à la révolution sociale par la formation de groupes. Pour vous assurer que l’on est toujours en train de comprendre comment faire de l’argent sur Internet, on évoque au passage Here Comes Everybody (à lire absolument) de Clay Shirky: l’auteur y montre qu’Internet révolutionne l’organisation sociale en facilitant comme jamais auparavant la formation de groupes autour d’intérêts communs.

Troisième étape, on arrive à la prostate de monsieur Jarvis. Sa conférence portait sur le sujet de son dernier livre Public Parts, traduit en français sous le titre Tout nu sur le Web: Plaidoyer pour une transparence maîtrisée. Alors que les nouveaux médias provoquent des inquiétudes sur la protection de la vie privée, Jeff Jarvis rappelle qu’il y a aussi dans la civilisation une éthique de la transparence et du partage qui est bénéfique à tous. Nathalie Collard en a parlé dans La Presse: « Pour illustrer son propos, [Jeff Jarvis] a choisi un exemple très intime: son cancer de la prostate, sur lequel il a pratiquement tout dévoilé – y compris les problèmes d’incontinence et d’impuissance liés à sa maladie. En racontant ce qu’il vivait il a également trouvé réconfort et solidarité. »

Cette éthique de la transparence a des conséquences dans toutes les sphères, y compris la sphère gouvernementale. Actuellement, dit Jarvis, l’information gouvernementale est secrète par défaut et publique par force (les fuites, les lois d’accès à l’information ou les enquêtes journalistiques). L’éthique de la transparence demande que toute information gouvernementale soit publique par défaut et secrète uniquement par nécessité. C’est là que l’on retrouve Stephen Harper, comme l’a rapporté Roberto Rocha dans The Gazette: « En faisant des lois pour contrôler certains types d’information, des gouvernements autoritaires pourraient s’en servir pour faire de la répression politique. »

Jeff Jarvis nous aide ainsi à définir notre nouvel environnement: un nouveau media qui balaye tous les autres, qui est propice a la formation de groupes, où l’on bénéficie du partage de l’information et de la transparence.

Lors de la conférence, David Jonhston, journaliste responsable des Communautés à The Gazette a demandé à Jeff Jarvis  comment il voyait l’avenir des médias. Il a répondu essentiellement ce qu’il a publié le lendemain dans The Guardian sous le titre: Ce que les médias peuvent apprendre de Facebook. Il faut absolument lire l’original. En voici quelques extraits.

Et si notre métier, dans les médias d’informations, n’était pas de produire du contenu?
Nous pouvons être des plates-formes pour les communautés que nous servons.
Plus nous allons améliorer nos relations avec nos lecteurs, plus nous allons trouver des opportunités d’y générer des revenus par la publicité, certes, mais aussi par le commerce, les services et même l’éducation et la création d’événements.
C’est vague? Non éprouvé? Risqué? Oui, oui et oui.
Mais garder nos vieux modèles est encore plus risqué.

Note: Ceci n’est bien sûr qu’un survol. N’hésitez pas à commenter ci-dessous ou à me contacter bruno (at) boutotcom (point) com .

Voyage dans le temps

novembre 26th, 2011 by bruno boutot

VOYAGE DANS LE TEMPS

Le choc, environ 50 ans plus tard.

Guignolée du Web: changer les choses, un clic à la fois

novembre 22nd, 2011 by bruno boutot

Donnez! La guignolée du web

Médias et marchés: Bienvenue au Welcome Motel

novembre 21st, 2011 by bruno boutot

Voici donc le video de ma présentation lors du dernier Web-In, dans le cadre de MTL-DGTL, le festival numérique de Montréal.

Je publie ces jours-ci media machina sur les modèles d’affaires des médias sur le Web. Tout ce contenu est présenté régulièrement à mes clients et lors de conférences et de camps à Montréal. J’en tire bien sûr le plus grand avantage: merci à tous ceux et celles qui me font bénéficier de leurs questions, de leurs suggestions et de leurs commentaires.

Sujet du jour:

Les médias sur le Web sont confrontés à deux questions majeures: d’une part la participation et l’identité des lecteurs et d’autre part les nouveaux modèles d’affaires.
Tout s’éclaircit quand on réalise qu’il n’y a pas un mais deux systèmes de communications qui coexistent sur le Web et dont les mécanismes sont complètement différents.
Les médias de masse et le marketing opèrent dans le système Distance.
Les communautés et les marchés d’individus opèrent dans le système Welcome.

La première du Web-In de Montréal s’est révélée un superbe événement avec une brochette de mini-conférences sur le mode cabaret. Tout à fait fidèle à ses objectifs:

Web-In vise carrément à amener ses participants à aller au-devant des constats, voire même à sortir de leurs zones de confort et à remettre en questions leurs certitudes. Le tout dans le but de faire une réflexion collective sur le futur du Web.

Merci à Josée Plamondon, François Légaré, Sylvain Carle, Martin Lessard et Stéphane Bousquet pour l’organisation, à Christian Aubry et Marie-Louise Gariépy pour la captation et la diffusion.