Comment faire tout de suite du journalisme Web de collaboration
mai 26th, 2011 by bruno boutotVoici donc les notes mentionnées dans l’article précédent en préparation de la session que j’anime au MediaCamp Montréal: #
Comment commencer tout de suite à faire du journalisme Web en collaboration avec vos lecteurs simplement avec votre blog,Pour référence, j’ai abordé ce thème souvent et depuis longtemps sous différents angles, par exemple, ici, ici et ici ou, en anglais, là. #
en attendant que votre éditeur vous fournisse un jour les vrais outils. #
Notez que je suis d’accord que chacun fait ce qu’il veut dans son royaume mais que ce thème traite très précisément de journalisme, dont la pratique et les circonstances ne s’appliquent pas forcément à tous. Pour se mettre dans le contexte, voici des extraits d’un reportage dans cyberpresse.ca de Nathalie Collard, quand elle couvrait les conférences du festival SxSW à Austin, Texas, en mars dernier: #
Le journalisme de demain, aujourd’hui #
J’ai retenu des passages qui viennent entre autres de la conférence de Jay Rosen #
Dans cette veine, voici les avenues que je propose d’explorer: #
- les journalistes, ces solitaires, devraient accepter de s’ouvrir et de collaborer. Ce constat est non seulement largement accepté, il est déjà mis en pratique.
- Dans TOUS les ateliers portant sur l’avenir du journalisme, on parle de cette nouvelle collaboration avec les lecteurs (des non-journalistes) qui sont aussi les abonnés Twitter et Facebook des journalistes et des médias.
- Ces lecteurs, ces consommateurs d’information, sont de moins en moins passifs. Ils font des commentaires, proposent leur propre analyse et deviennent parfois des sources pour les reporters. Les médias doivent donc penser à de nouvelles façons de mettre en lumière leur contribution.
- pour réussir à produire un contenu de qualité en intégrant des collaborations locales extérieures, les médias doivent absolument se bâtir un bassin d’excellents lecteurs-collaborateurs. C’est ce qu’on appelle la communauté. Les médias doivent cesser de considérer leurs lecteurs/auditeurs/téléspectateurs uniquement comme un bassin de consommateurs potentiels à qui on peut vendre de la publicité. Ils doivent plutôt trouver des méthodes pour engager la conversation et pour construire une collaboration durable avec eux.
Hier matin, l’auteur Jeff Jarvis poussait la réflexion plus loin en se demandant si les médias ne devaient pas fournir davantage d’outils à leurs lecteurs afin de les inciter à participer davantage.
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I – UN BLOG, C’EST CHEZ VOUS #
Yves Boisvert m’a fait rire quand il pété un plomb dans cyberpresse.ca mais sur le fond, il a raison: un blog (ou n’importe quel site appartenant à quelqu’un) c’est « chez quelqu’un ». Les gens qui ont des blogs ou qui ont participé à des communautés sur le Web connaissent bien ce principe parce qu’ils y ont été confrontés des centaines de fois: un blog c’est un lieu qui appartient à quelqu’un (ou dont quelqu’un est le gardien). #
Les hurlements des commentateurs – souvent anonymes – qui exigent « la démocratie » sont dans l’erreur, toujours, et se le font régulièrement rappeler. Un média, où qu’il soit et quelle que soit son importance n’est pas une place publique, ni la toundra, ni le milieu de l’océan. C’est un lieu privé dont quelqu’un est responsable. #
Est-ce que quelqu’un peut faire n’importe quoi dans un restaurant, dans un commerce, dans une salle de spectacle? Bien sûr que non! Ça a l’air évident mais vous n’avez aucune idée combien de fois j’ai dû expliquer cela à des professionnels par ailleurs plus compétents que moi mais qui se laissaient déborder (ou insulter) sous le faux prétexte de la « liberté d’expression ». #
Un blog, un forum, un site, c’est un lieu privé. Il ne s’y passe que ce que les responsables décident. Et quand on est responsable, il ne faut avoir aucune gène, aucune hésitation, aucun complexe à décider. C’est pour cela que tout espace ouvert à la collaboration doit exprimer le plus clairement possible quel type de collaboration on recherche, ce qu’on y fait, comment on le fait et qui peut faire quoi et comment. #
Un restaurant indique clairement que c’est un lieu où l’on peut manger en payant. Et le menu est généralement affiché. On ne vient pas y garer son vélo, y acheter une chemise ou y déclamer des poèmes. Tout lieu sur le Web doit être aussi clair qu’un restaurant sur la nature de l’activité qu’on y pratique et sur les gens qui y sont conviés. #
Et les règles, le sujets, les personnes et les types de collaboration peuvent (doivent?) être différents pour chaque blog, pour chaque auteur et sans doute parfois pour chaque sujet. C’est chez vous? Soyez singulier. #
De quels outils a-t-on besoin pour faire respecter notre territoire journalistique? #
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II – AVOIR UN BLOG OUVERT À LA COLLABORATION, C’EST DE LA RÉDACTION EN CHEF #
Je ne sais pas si vous avez déjà été rédacteur ou rédactrice en chef d’un produit de presse, mais voilà ce que ça veut dire pour moi: #
En tant que rédacteur en chef, je suis responsable de tout le contenu de mon média. #Responsable, ça veut dire: j’ai tout lu, tout vérifié, tout approuvé et s’il y a lieu j’ai révisé, corrigé, réécrit, mis en forme. Ou j’ai fait confiance à quelqu’un pour faire tout cela, mais le résultat est le même: dans tous les cas, s’il y a erreur de fait, faute d’orthographe, citation erronée, c’est ma responsabilité pas celle de mes collaborateurs. Je les couvre parce que quand je publie quelque chose, j’endosse tout: c’est moi qui présente ce contenu. #
Cette seule idée fondamentale suffit à changer tout le contexte et permet d’amorcer une collaboration avec les gens que ça intéresse. Cela fait cesser immédiatement toutes les complaintes des journalistes impuissants qui se lamentent de la qualité des commentaires qui suivent leurs écrits: si ce blog est le mien, je suis responsable de tout ce que j’y publie, y compris les collaborations d’autres personnes. #
Est-ce possible? Sûrement, si on trouve des réponses aux deux questions suivantes. #
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III – QU’EST-CE QU’ON FAIT DANS (ET AUTOUR DE) CE BLOG? DU JOURNALISME #
Il faut en finir une fois pour toutes avec la dichotomie actuelle entre les textes de journalistes qui sont « de l’information » et les commentaires des lecteurs qui sont « n’importe quelle opinion sur ce texte, sur cette information, sur la personne qui l’a écrite ou sur un commentaire précédent. » Sauf, bien sûr, dans le cas où vous voulez, précisément, connaître l’opinion de vos lecteurs, mais ce n’est pas le sujet ici. #
Ici, on parle de faire du journalisme Web de collaboration avec les lecteurs que ça intéresse. #
Donc on décide faire du journalisme: recueillir de l’information, des faits, des références, des dates, des chiffres, des graphiques, des noms, des citations, des images, des vidéos, du son. Puis les assembler, les présenter. Puis, comme on est sur le Web, les suivre, les enrichir et les mettre à jour. #
À quoi ça ressemble?
Bonne question: on est là pour explorer. D’ici là, il y a des journalistes qui utilisent déjà Twitter et leur blog pour faire des recherches avec certains de leurs lecteurs. #
De toute évidence, il faut se comporter comme un rédacteur en chef: choisir avec ses collaborateurs un thème, un ou plusieurs sujets et trouver des informations, des faits , des références, etc. #
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IV – AVEC QUI ON FAIT DU JOURNALISME? AVEC LES GENS QUE L’ON CONNAÎT #
C’est un fait bien connu des résidents du Web: les communautés grandissent une personne à la fois.
Beaucoup de journalistes vivent sous la pression terrible qu’ils doivent ouvrir leurs pages à n’importe quel millier de lecteurs qui passe par là. Rien ne nous y oblige.
Les communautés grandissent une personne à la fois? Faisons donc grandir notre bassin de collaborateurs une personne à la fois. #
Là, d’un seul coup, tout devient plus simple.
Partons de zéro.
Connaît-on au moins une personne dont on est sûr de l’identité sur le Web et qui est intéressée à collaborer avec nous? #
1! #
2? Tous les journalistes partent avec un avantage énorme: ils connaissent avec certitude l’identité sur le Web de nombre de leurs collègues journalistes. #
On voit déjà beaucoup de journalistes échanger sur Twitter. Pourquoi ne le feraient-elles pas sur leur blog?
Aussi, la première communauté d’une rédaction, ce sont ses journalistes. #
Le problème fondamental de la collaboration sur le Web, c’est l’identité des participants.
Il existe beaucoup de systèmes différents pour établir une identité stable, que ce soit celle de Twitter, celle de Metafilter, celle de Google Profile, celle de flickr, celle de Linkedin, celle de facebook, celle de eBay, celle de Worth1000, celle d’Amazon et tant d’autres. Dans une entreprise de presse, seuls les éditeurs peuvent décider d’investir dans un système sérieux d’identité pour les collaborateurs, où l’on enregistre les collaborations, où l’on s’en souvient, où on les apprécie et, s’il y a lieu, où on les récompense. #
Mais comme le dit le titre de cette session, il s’agit aujourd’hui de tenter de faire du journalisme Web de collaboration tout de suite, en attendant que notre éditeur voit la lumière et nous en donne les vrais moyens. #
On peut commencer tout de suite, sans être pressé: une personne à la fois. Une que l’on connaît, une que cette personne connaît, une dont l’identité est déjà établie de plusieurs sources sur le Web, etc. #
Le reste, c’est du journalisme. #
Qu’est-ce qu’on attend? #
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Quelques références: #
Jay Rosen écrivait dans Twitter: #
L’art de créer de meilleures conversations dans les commentaires n’est pas un des mystères de l’Internet. En fait, beaucoup de connaissances sont disponibles sur le sujet. #Il y introduit un article de Matt Thompson dans Poynter dont je recommande la lecture (et la relecture) dans lequel ce dernier explique comment améliorer les conversations. Matt s’inspire notamment de la communauté MetaFilter, qui est également ma référence pour beaucoup des structures de communauté. #
Indispensable: les recommandations du Guardian à ses journalistes pour leurs interventions dans les blogs et les commentaires. #
Enfin l’article de Benoit Raphaël où il présente l’espace de participation Le Plus qu’il a conçu pour le Nouvel Observateur: #
L’idée ici est bien d’embarquer l’auteur “citoyen” dans une dynamique éditoriale. ##