Hier soir il y a eu un incendie pas loin de chez moi.
Je suis allé voir, j’ai pris quelques photos avec mon appareil de poche, je ne suis pas resté très longtemps.
En rentrant je me suis dit que j’allais tenter l’expérience contemporaine dont on parle partout: la participation des témoins ordinaires à la diffusion de la nouvelle.
(Quand je dis « partout », je fais bien attention à ne pas penser seulement aux blogs ou fil Twitter des professionnels des nouveaux médias avec qui je suis en contact tous les jours; non, je parle des grands médias populaires, des télévisions, des quotidiens, qui ont tous parlé du phénomène, que ce soit lors des élections en Iran, du coup d’état au Honduras ou, plus récemment, de la collision aérienne au dessus de l’Hudson à New-York. Tous ont parlé des citoyens-témoins.)
Donc, l’expérience « Boutot témoin d’une nouvelle ».
J’ouvre mes 16 photos sur mon ordi. J’en garde 5 acceptables et les mets dans une galerie que j’appelle « news » sur flickr. Telles quelles, sans amélioration : je me dis que la vitesse compte et je décide de laisser accès au format original; si un média veut les utiliser, quelqu’un fera les améliorations minimales (lumière, contraste, etc.).
Puis je vais l’annoncer sur Twitter. Il est environ 21h.
Là, je me rends compte que j’ai été devancé de 11mn par Philippe Martin, qui a posté une photo.
Ma blonde me demande: « Les as-tu envoyées à des médias? »
Non, j’attends de voir l’effet Twitter.
Au bout de 20 à 30 minutes, @endirectdesiles en parle, puis @Panthere_rousse.
Puis plus rien. Je vais voir sur les médias en ligne:
cyberpresse, canoe, LCN, TVA, Radio-Canada, RDI, journal de montréal.
Première ÉNORME surprise: de ces 7 grands médias d’information (4 télévisions, 2 quotidiens, 1 site de nouvelles), 6 n’ont aucun endroit sur la page d’acceuil demandant aux lecteurs de leur soumettre des informations. 6 sur 7! En 2009! Alors que tous ces gens publient des articles et des reportages sur la participation du public, sur l’avenir des médias, sur les blogs, le « journalisme citoyen », alouette!
Va-t-on féliciter le 7e? cyberpresse a, en bas à droite, un espace intitulé:
Contribuez
Vous avez assisté à un événement d’intérêt public
Envoyez-nous vos textes, photos ou vidéos
Ha! Euréka! Je clique et j’arrive sur une page de soumission d’information:
Avant de soumettre mes photos, je vais quand même consulter les « conditions d’utilisation ». Les trois quart consistent à protéger cyberpresse: genre, ce sont bien mes photos, vous n’êtes responsable de rien et je ne vous poursuivrai pas. Pas d’objection. Quand soudain je tombe sur mes droits:
Propriété Intellectuelle
Lorsque vous soumettez Votre contenu à Cyberpresse, vous concédez à Cyberpresse une licence mondiale illimitée, irrévocable, non exclusive, perpétuelle et à titre gratuit : i) d’utilisation, de reproduction, de stockage, d’adaptation, de traduction, de modification, de création d’œuvres dérivés, de transmission, de distribution, d’exécution publique ou de mise à la disposition du public de Votre contenu à quelque fin; et ii) de concession en sous licence à des tiers du droit illimité d’exercer l’un ou l’autre des droits précités. Outre la concession de la licence susmentionnée, par les présentes, vous i) convenez de renoncer à l’ensemble des droits moraux dans Votre contenu en faveur de Cyberpresse;
Vous voulez savoir ce que j’en pense, en deux mots, en tant qu’éventuel fournisseur de nouvelles?
No. Way.
Je me suis couché vers 23h30, tirant des leçons de l’expérience.
Morale de l’histoire numéro 1:
Si vous voulez que les habitants de votre marché vous soumettent des nouvelles, commencez par avoir sur votre page d’acceuil, en haut, un espace bien visible pour accueillir les nouvelles de vos lecteurs.
Si vous n’avez pas d’oreille, vous ne risquez pas d’entendre grand chose.
Si, sur votre site d’information, vous n’invitez pas vos lecteurs de façon très visible et explicite à vous soumettre des nouvelles, vous n’allez pas en recevoir.
Morale de l’histoire numéro 2:
Si vous voulez que vos lecteurs vous soumettent des informations, donnez leur un incitatif. Si par hasard n’importe lequel d’entre nous rencontre un journaliste, on ne se fait pas d’abord sermoner par un avocat. Pourquoi serait-ce différent sur le Web? Pourquoi je me fais dire seulement que le média veut se protéger de moi et que je renonce à tous mes droits? Où est l’incitation, l’encouragement, les remerciements, la garantie d’avoir le crédit, les récompenses symboliques (comme un titre, genre « lecteur source » ou n’importe quoi de joli qui montre une certaine reconnaissance) et, pourquoi pas, l’engagement de verser à la source tout ou partie des droits de réutilisation?
Tout cela n’est pas de la magie des « nouveaux médias ». C’est du bon sens, de la relation ordinaire, quotidienne avec le client. Toutes ces entreprises de presse sont dirigées par des gens brillants, ont des responsables du contenu brillants, ont des responsables du marketing brillants, ont des brillants journalistes et de brillants vendeurs et ont sûrement de brillants conseillers Internet, n’est-ce pas?
Je connais beaucoup des artisans de nos médias, tant côté contenu que côté marketing. Il est absolument impossible que vous traitiez vos clients comme ça! Vous ne le faites jamais dans la vraie vie!
Et vous le faites sur le Web?
Mise à jour: je trouve dans mon courriel ce matin un message « urgent » de Mathieu Turbide, du journal de montréal, qui me demande si je veux lui vendre mes photos.
Première réaction: Ha! Enfin! Twitter a marché!
Mais le courriel date de hier soir. Trop tard!
Que s’est-il passé?
Je suis informé par @marioasselin que @mdumais a donné mon nom lorsque @MechantBlogue a fait une demande de photos de l’incendie sur Twitter. Michel Dumais lui a répondu:
@MechantBlogue essaie ici, chez Bruno boutot http://www.flickr.com/photos/brub/sets/72157621955146913/
MechantBlogue, qui est Mathieu Turbide, est donc allé voir mes photos sur flickr … et m’a envoyé un courriel par l’intermédiaire de flickr à 22h40. Mais, à cause des mystères de l’Internet, le message n’est arrivé dans ma boite de couriel Vidéotron qu’à 12h10… Argh!!!
De toutes façons, félicitations à Mathieu Turbide d’avoir eu le réflexe de faire appel aux témoins de l’événement. Excellente façon de faire du journalisme contemporain. Finalement, comme me l’a rapporté Mario Asselin, Mathieu Turbide a fini par trouver de très belles photos de daidix, également sur flickr.
Mise à jour: Michel Dumais raconte l’événement.